samedi 20 février 2010

L'obligation d'être traité

Témoignages des familles

Je suis mère d'une personne souffrant d'une maladie mentale. Cela fait une dizaine d'années que je m'implique auprès des familles et des personnes atteintes et que j'écoute les nombreux témoignages de ces familles dont les proches sont abandonnés par le système de santé et laissés à eux-mêmes, pour refus de traitement ou pour double problématique incluant la toxicomanie.

Lorsque la famille amène son proche à l'urgence, c'est qu'elle a de bonnes raisons de croire que celui-ci a un besoin urgent d'assistance professionnelle psychiatrique.

Nous voyons nos enfants adultes ne plus fonctionner dans la société, ne plus être capables d'avoir soin d'eux-mêmes, perdre leurs amis, se retirer dans un monde obscur, frapper, crier, défoncer des murs pour apaiser leur souffrance, craindre des espions qui les poursuivent et qui veulent les assassiner, voir du poison dans leur nourriture et dans leur eau, entendre des voix, etc. etc.

La peine que nous éprouvons est indescriptible. Nous sommes témoins de leur souffrance et de leur désorganisation. Nous partageons cette souffrance. Nous réalisons à quel point ils ont de la difficulté à vivre jusqu'à vouloir en mourir parfois.

Mais en plus de cette peine et de cette souffrance, nous devons nous battre pour qu'ils aient accès à des soins de santé. Nous devons affronter les avocats, le juge et témoigner contre notre enfant majeur. Nous devons démontrer que notre enfant est malade en citant devant lui tous les faits et gestes qui le prouvent.

Non, ce n'est pas pour s'en débarrasser ni pour les faire enfermer ni parce qu'ils nous dérangent que certains d'entre nous, les parents, osons les amener à l'hôpital et demander une ordonnance de traitement. Mais, c'est parce que nous les aimons et que nous espérons les voir se rétablir.

Impacts positifs du traitement

Pourtant, si on regarde les impacts positifs du traitement, plusieurs d'entre eux, ayant eu la chance de recevoir des soins de santé, retournent aux études, entreprennent une carrière et font partie d'un réseau social. Par contre, si non traités, l'itinérance, la prison et le suicide les guettent.

Le refus de traitement et la Loi

Comment devrait se comporter le psychiatre face au refus de traitement, lorsque cette personne nécessite des soins psychiatriques et que justement, à cause de son état mental, elle ne reconnaît pas la nécessité d'obtenir de tels soins?

À l'article 28 du Code de déontologie des médecins du Québec, ne lit-on pas que « Le médecin doit, sauf urgence, avant d'entreprendre un examen, une investigation, un traitement ou une recherche, obtenir du patient ou de son représentant légal, un consentement libre et éclairé »? Le mot « Libre » n'implique-t-il pas que les facultés ne soient pas transformées? Le mot « Éclairé » n'implique-t-il pas la connaissance et la compréhension de la nature et du but du traitement, de la procédure utilisée, des risques possibles et des effets secondaires, des traitements alternatifs ainsi que des conséquences d'un refus ou d'une non-intervention?

Et je me pose ces questions : À une personne dont les facultés sont affectées, devrait-on lui laisser la responsabilité de signer un refus de traitement?

À cette personne qui refuse le traitement, prend-on le temps d'expliquer la procédure et les conséquences de ce traitement? Est-elle en mesure de bien comprendre toutes les conséquences de sa décision de refuser ou d'accepter le traitement?

D'autres articles de la Loi sur les services de santé et services sociaux indiquent aux professionnels de la santé leurs devoirs envers les patients. Ainsi l'article 7 mentionne que « Toute personne dont la vie ou l'intégrité est en danger a le droit de recevoir les soins que requiert son état. Il incombe à tout établissement, lorsque demande lui est faite, de voir à ce que soient fournis ces soins ». Enfin, l'article 10 stipule que tout usager « a notamment le droit de participer à l'élaboration de son plan d'intervention ou de son plan de services individualisé, lorsque de tels plans sont requis conformément aux articles 102 et 103 ».

Hôpital ou prison?

C'est curieux qu'on ne mette pas autant d'énergie à les faire sortir de prison qu'on en met pour les faire sortir du système de santé. En effet, certains de nos enfants adultes, désemparés et désespérés, désirant se faire prendre en charge par notre société, commettent des actes délinquants, des délits ou voies de fait. Et ils se retrouvent en prison ne recevant aucun soin psychiatrique.

3700 personnes atteintes de maladie mentale entre chaque année en prison. 20% des policiers seulement ont une formation en santé mentale (selon l'émission Enquêtes du jeudi le 19 novembre 2009). Non! La prison n'est pas un endroit pour les personnes atteintes de troubles mentaux!

Et si le traitement signifiait chaleur humaine?

Faudrait-il revoir ce qu'on entend par traitement? Quand la personne dit refuser le traitement, que représente pour elle le traitement? Est-ce l'enfermement, la sur-médication, l'attitude parfois autoritaire d'un professionnel?

Mais, si le traitement se transformait en une main tendue, un sourire, une écoute empathique, un accueil chaleureux, pourrait-elle refuser? Si elle se sentait considérée, respectée et aimée, pourrait-elle refuser? Si le professionnel sait que ce traitement améliore la qualité de vie de son patient, pourquoi ce professionnel lui refuse cette qualité de vie? Et si les psychiatres établissaient avec le patient et sa famille un plan de soin adapté aux besoins de ce système-client, y aurait-il moins de refus de traitement?


Ce que les familles demandent : Ni oppression ni protection, mais un droit à une meilleure qualité de vie

En conclusion, l'obligation d'être traité ne signifie pour moi ni oppression ni protection, mais un droit d'avoir une meilleure qualité de vie en ayant accès à des soins de santé qui ne se limitent pas qu'aux médicaments, mais qui incluent des services de réadaptation pour tous les aspects de la personne (étude, travail, loisir, réseau social, logement, etc.). C'est ce que nos proches veulent et c'est ce que nous voulons aussi.

Céline Labbé, travailleuse sociale et mère d'un fils atteint d'un trouble mental

Bibliographie

Le psychiatre face au refus de traitement : une démarche clinique et juridique. Santé mentale au Québec, Gamache, C & Millaud, F. (1999), XXIV(1), 154-172.

Code de déontologie des médecins.
Gouvernement du Québec, Éditeur officiel, Québec.

Loi sur les services de santé et les services sociaux.
Gouvernement du Québec, Éditeur officiel, Québec.

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