samedi 15 avril 2023

Éric manque d'affection

 Une des personnes qui m'a le plus révélé ce qu'est la communion s'appelait Éric.  Nous l'avons rencontré dans un hôpital psychiatrique il avait alors 16 ans. il était aveugle, sourd,, il ne marchait pas, il ne parlait pas, et il ne pouvait pas se nourrir tout seul ; il il avait un lourd handicap intellectuel.  Néamoins, sa maman, une femme bonne, ne supportait pas la souffrance de son enfant, et nee se sentant pas capable de l'aider l'avait mis dans un hôpital psychiatriquee quand il avait quatre ans.  Lui, petit, pauvre comme il l'était, ne pouvait comprendre pourquoi maintenant il était touché parfois avec agressivité, par une multitude de personnes.   Il était perdu!  les quelques repères qu'il avait s'étaient évanouis.  Il se sentait seul dans un monde hostile.

Quand je l'ai rencontré, Érie avait déjà passé 12 ans dans un hôpital psychiatrique.  Il avait des carrences affectives terribles.  Son coeur était comme un grand vide rempli de peur et d'angoisse.  Quand je m'approchais de lui, il touchait mes mains ou mes pieds et il commençait à s'agripper à moi dans un cri de tout son être, hurlant pour être touché, pour être aimé. Son cri était si total, si agressif, qu'il était insupportable à entendre, à recevoir.  Il fallait se dégager de ses ses étreintes sinon on avait le sentiment d'être dévoré.  Il est évident qu'à l'hôpital il était perçu comme un enfant qui demandait trop et mal ; avec lui il n'y avait pas de gratification.  Très angoissé, s'agitant beaucoup, il était difficile à supporter pour les infirmières.  Ainsi ses angoisses et agressivités se sont développées à un degré insupportble pour lui et pour les autres.  Il ne se tenait pas tranquille, il était incontinent, il avait des gestes brusques ; parfois des cris terribles sortaient de lui.  Il s'était manifestement formé à l'intérieur de lui une image blessée de lui-même.  

Éric vivait le drame de beaucoup d'enfants avec un handicap lourd.  On ne les supporte pas.  Leurs parents ne peuvent pas toujours leur donner l'amour, la communion la tendresse et les soins dont ils ont besoin.  Le petit enfant ne vit que par la communion, par le regard et les mains de tendresse de la mère.  Tout seul il est en danger.  Il ne peut se défndre, il est trop petit, trop vulnérable, sans défense.  S'il ne sent pas aimé, pas voulu, n'ayant pas de place, il vit les angoisses de l'isolement.  Il vit des traumatismes de peur.  S'il n'est pas aimé, protégé par l'amour, il est en danger de mort.  C'est le drame de l'enfant abandonné.  Se sentant seul, rejeté, il croit que c'est parce qu'il n'est pas bon, qu'il n'est pas aimable.  Il se sent coupable d'exister.  Il entre dans le cercle vicieux des souffrance intérieures.  Sentant qu'on ne veut pas de lui, il devient plus angoissé, dépressif et agressif.  Ainsi on a davantage peur de lui.  Il est obligé de se défendre comme il peut dans un monde qui lui est hostile.  

Quand nous accueillons à l'Arche quelqu'un  comme Éric, la seule chose qu'il faut essayer de lui révéler, c'est que nous sommes heureux qu'il existe, que nous l'aimons et l'acceptons tel qu'il est.  Mais comment le lui révéler , lui qui ne voit pas et n'entend pas?  On ne peut pas le lui dire: on ne peut pas le manifester par des gestes.  Le seul moyen, c'est à travers le toucher.  J'ai eu le privilège de passer un an avec lui en 1981 dans le foyer La Forestière quand j'ai quitté la responsabilité de l'Arche et j'ai pu découvrir qu'un des moments privilégiés de la communion était le bain.  Son petit corps nu se détendait et prenait du plaisir dans l'eau chaude.  Il était si heureux d'être touché et lavé !

Le seul language qu'il pouvait comprendre était  celui de la tendresse à travers les mains : un language de douceur, de sécurité, mais aussi un language qui à travers mon corps et ses vibrations lui révélait précisément qu'il était aimable, qu'il était bon et que j'étais heureux avec lui.  En le touchant, je recevais la tendresse qu'il voulait me donner.  

Le corps est ainsi le fondement et l'instrument de la communion.  La communion exige une certaine qualité d'écoute, rendue visible à travers le regard et le toucher.  Ainsi par tout le corps, par le regard et l'écoute, on peut révéler à quelqu'un qu'il est beau, qu'il est intelligent, qu'il a une valeur, qu'il est unique.  Quand on écoute un enfant avec intérêt, l'enfant découvre qu'il a quelque chose à dire, et il a souvent envie de le dire à ce moment là.  Si, en revenche, on parle tout le temps et on dit à l'autre sans cesse ce qu'il doit faire, ce qu'il doit apprendre, alors cet autre de la difficulté à trouver confiance en lui-même. 


Extrait de "Toute personne est une histoire sacrée"  par Jeau Vanier, fondateur de l'Arche, un réseau international de communautés qui acceuillent des personnes avec un hadicap lourd et des non-handicapés.  Plon, 1994